Par le Critique d'Art Duong Tuong, 2000
Il n'y a pas si longtemps que l'Art vietnamien en général,
et l'Art vietnamien contemporain en particulier, est sorti de l'anonymat
pour trouver sa place dans le monde de l'art. Pendant très longtemps,
les intellectuels et les chercheurs occidentaux avaient tendance à
penser que la culture vietnamienne était une pâle réplique
de la culture chinoise, ou un mélange de culture franco-sino-indienne.
Que le Vietnam doive beaucoup à ces grandes civilisations est indiscutable,
mais cela ne signifie nullement que la culture vietnamienne n'en est qu'une
simple imitation. On peut dire que ce qui a permis au Vietnam de survivre
en tant que nation après plus de mille ans de domination étrangère,
c'est que le pays a su assimiler les influences extérieures et intégrer
leur quintessence dans sa propre culture.
En ces temps-là, alors qu'on parlait d'une crise d'identité
de l'Art asiatique, l'Art vietnamien est devenu un pôle d'attraction.
En effet, les uvres d'art vietnamiennes dans les dix dernières
années on été de plus en plus recherchées par
les collectionneurs étrangers et les amoureux de l'art. Les expositions
d'Art vietnamien organisées à Hong Kong, Singapour, au Japon,
en Australie, en France, en Allemagne, aux Etats-Unis, en Argentine
ont suscité attention et reconnaissance. En effet, ici le milieu
artistique déploie une vitalité débordante et une diversité
explosive qui n'ont jamais existé dans le passé. L'épanouissement
actuel de l'Art vietnamien naît de notre désir sincère
d'affirmation de soi en tant que culture, avec sa propre identité,
et peut être vue comme la libération bouillonnante de désirs
créatifs longtemps réprimés. C'est une période
de changement, et je parlerai plutôt de la jeune génération.
Les artistes vietnamiens sont maintenant plus entreprenants et audacieux,
cherchant à se mettre au diapason des tendances internationales,
en même temps qu'ils profitent de la liberté d'expression artistique
dans le climat salutaire du " Doi Moi " (Vie Nouvelle : ouverture
du pays au monde extérieur). Une forte recrudescence de formes d'art
nouvelles et de traditions ravivées est en train de pousser l'Art
vietnamien en avant. Les jeunes artistes cherchent leur marque personnelle
basée sur leur propre expérience et leur vision personnelle,
se montrant de plus en plus confiants et audacieux dans leurs uvres.
C'est une génération sans complexes. Ils ne sont pas impressionnés
par ce que leurs prédécesseurs ont fait en tant que pionniers,
et ne cherchent pas à faire table rase du passé. En faisant
de leur mieux pour marier tradition et modernité, ils ne sont nullement
traditionalistes, sachant pertinemment que les traditions peuvent parfois
être un frein et conduire au conservatisme.
De cette génération, le premier groupe à gagner un renom international par leurs uvres est le Gang des Cinq, composé de 5 peintres de Hanoi : Hông Viêt Dung ; Ha Tri Hiêu, Dang Xuân Hoa, Trân Luân et Pham Quang Vinh. En même temps qu'eux, sont venus occuper le devant de la scène : Trân Trong Vu, Hoang Hông Câm, Nguyen Than, Bui Minh Dung, Le Quang Ha, défenseurs d'une forte tendance néoimpressionniste. Parmi les adeptes les plus éminents de l'abstractionisme, il y a Nguyên Trung, Dô Hoang Tuong, Trân Van Thao. Dô Minh Tam, Trân Luân, Lê Hông Thai Nguyên Thanh Binh et Pham Luân charment avec leurs palettes lumineuses et leur lyrisme enchanteur. Les formes d'art à la pointe comme les performances et installations commencent à être expérimentées et ne sont plus étrangères au public. Truong Tân, l'iconoclaste, se détache de l'orthodoxie en créant des uvres non-conventionnelles exprimant sans détours ses convictions homosexuelles. Nguyên Bao Toan, Nguyên Minh Thanh à Hanoi, et Lê Thua Tiên à Huê sont parmi les premiers artistes " engagés " de l'installation au Vietnam. Il ne faudrait pas oublier Vu Dân Tân, le sorcier, qui transforme les déchets en uvres d'art, le minimaliste Lê Thiêt Cuong, l'inclassable Dinh Y Nhi avec ses peintures hallucinatoires en noir et blanc, l'instinctif Vu Thang avec son utilisation fascinante de techniques mixtes dans la peinture de la laque.
En fait, c'est cette génération libre et complexe, qui donne
le ton à l'avenir de l'Art vietnamien. Ces artistes ne se contentent
pas de suivre les traditions ; ils sont en train de créer une nouvelle
vision qui continue à se nourrir des racines nationales, et de cette
façon, créent une nouvelle tradition : la tradition du nouveau.